La danseuse et chorégraphe Irène Feste, dotée d’un esprit scientifique et d’un diplôme d’Ingénieur Maître en télécommunication et réseau, a une prédisposition pour la recherche. Il lui suffit alors d’une rencontre, celle avec Christine Bayle en 2005, pour s’intéresser à l’histoire de la danse.
Ayant elle-même reçu les enseignements de la créatrice de la compagnie Ris et Danceries Francine Lancelot, Christine Bayle forme Irène Feste en danse baroque et lui permet d’intégrer la compagnie L’Eclat des Muses. Irène se souvient avec émotion de ses premiers cours avec Christine Bayle, dont elle loue les valeurs de partage et de transmission qui lui ont apporté beaucoup. D’autres femmes, comme Nathalie Lecomte, Eugénia Roucher, Virginie Garandeau, toutes trois historiennes de la danse, ont également fait naître en elle une curiosité pour les danses anciennes.
Irène Feste se passionne ainsi pour ces disciplines jusqu’à en devenir experte. Elle nous a fait l’honneur de nous en apprendre davantage sur la danse baroque, qui est celle que pratique toute la cour quand est édifié l’hôtel de Berlize, où siège aujourd’hui le Centre de Danse du Marais.
Danseuse et chorégraphe, spécialisée dans les danses anciennes du XVIe au XIXe sièclesLes Questions / Réponses du CDDM
Si l’hôtel particulier est bâti au temps de la grande vogue de la danse baroque, il est légitime de se demander si on pratiquait la Belle Danse dans le Marais, et peut-être même dans l’Hôtel de Berlize. Qu’en pensez-vous Irène ?
Le Marais abrite à l’époque de nombreux hôtels particuliers et accueille de grandes familles nobles. Il apparaît dès lors certain que des maîtres à danser viennent enseigner dans le quartier. On possède aujourd’hui encore le nom de certains d’entre eux. On conserve notamment le patronyme de ceux ayant gravité dans l’entourage de la famille royale, comme Jacques Cordier dit Bocan, François Verpré, Henry Prevost, Guillaume Raynal. Certains constituent de véritables dynasties, comme les Favier ou les Désert. Leur rôle est d’importance, car la danse fait partie de l’éducation du gentilhomme, au même titre que l’escrime ou l’équitation. De fait c’est une activité physique qui rend agile en temps de guerre, souple pour l’équitation et apte à se présenter à la cour.
D’où vient le terme baroque ?
Le terme de baroque est un terme contemporain usité à partir des années 1960 pour désigner la danse de cour des XVIIe et XVIIIe siècles. L’expression vient de musicologues anglo-saxons. Parler de danse baroque aujourd’hui revient donc à parler de danse française de cour sur la période 1690-1750.
Le terme baroque n’est cependant pas employé au XVIIe siècle. A l’époque, les danseurs se disent pratiquer la Belle Danse. Sous le Grand Siècle, l’expression désigne donc la danse de cour et de théâtre. Dans ces disciplines, la mise en scène a quelque chose de novateur. Pour autant, on monte déjà des ballets auparavant. On retient souvent le nom du Ballet Comique de la Reyne (1581) comme premier grand ballet. Réalisé par Balthazar de Beaujoyeulx, il est donné devant Henri III et sa mère Catherine de Médicis.
Dans quelle circonstance danse-t-on le baroque ?
On pratique la Belle Danse lors de grandes manifestations à la cour, de grands bals ou de mariages nobles. Les festivités se tiennent parfois sur plusieurs jours, où spectacles et invitations à danser s’entremêlent. Louis XIV notamment s’en sert pour se mettre en représentation, à des fins de propagande politique.
Dès ses 15 ans, il se présente en Roi Soleil. Il gagne ainsi une légitimité sur le temps d’une danse. L’idée de la représentation est d’ailleurs réservée aux hommes car elle participe d’une stratégie politique de glorification. Les femmes dansent au bal sans se mettre en scène de cette même façon.
Quelle est la part de Louis XIV dans le succès de la Belle Danse ?
L’influence de Louis XIV sur la pratique vient de son effort de codification de la discipline. En 1661, le roi annonce vouloir gouverner seul. L’une de ses premières décisions consiste à créer l’Académie Royale de Danse. Il enjoint à ses maîtres à danser de se réunir pour théoriser la danse. En 1669, il fonde l’Académie Royale de Musique, actuel Opéra de Paris, dont l’enjeu est plus de créer des spectacles que de normaliser la danse.
Ces institutions rayonnent en Europe, par la diffusion des idées via les voyages des maîtres à danser dans les diverses cours européennes favorisant une certaine unité qui homogénéise la pratique de la danse baroque. La période Louis XIV est en ceci charnière : elle instaure cette unité, jusqu’à nous permettre de dire que l’on pratique la Belle Danse partout en Europe. Cet enseignement voyage également au grès des circulations d’ouvrages tels que des recueils chorégraphiques.
Comment remonte-t-on des danses baroques ?
Nous connaissons les pas et la musique employés grâces aux recueils de danses, ce qui nous permet d’en approcher la reconstitution. L’enjeu est de délaisser les automatismes pour réinterroger le mouvement. Il s’agit d’un véritable travail de recherche, qui passe par la lecture de l’histoire de la danse et par la prise en compte des écritures chorégraphiques avant la mise en oeuvre. On peut s’appuyer sur des ouvrages comme celui que publie Raoul-Auger Feuillet en 1700 : Chorégraphie ou l’art de décrire la dance par caractères, figures et signes démonstratifs avec lesquels on apprend facilement de soi-même toutes sortes de Dances.
Dans une acception différente de celle qu’on lui donne le plus souvent aujourd’hui, le terme chorégraphie désigne alors l’écriture de la danse. C’est un système de notation du mouvement que l’on peut coucher sur le papier et ensuite déchiffrer comme on lirait une partition musicale. Sur les croquis, la mesure est indiquée par un petit trait perpendiculaire à la ligne indiquant le parcours à effectuer et nous savons ainsi comment répartir les pas sur la musique.
L’écriture a néanmoins des limites et restreint les indications sur les bras par exemple. Elles sont plus pléthoriques dans Le maître à danser qui enseigne la manière de faire tous les différents pas de danse dans toute la régularité de l’art et de conduire les bras à chaque pas de Pierre Rameau (1725). Certains chapitres sont intégralement dédiés au mouvement des bras. A la lumière de cet ouvrage, on peut ainsi recomposer les pas avec plus de précision. Le tout est agrémenté de quelques gravures. Enfin, l’habit implique une certaine gestuelle. La femme notamment, très corsetée, porte les bras assez bas.
Comment le clergé se positionne-t-il face à la Belle Danse ?
Son attitude est ambigüe. Le clergé s’oppose à une pratique incontrôlée de la danse mais aurait plutôt tendance à favoriser une discipline qui pousse à la meilleure maîtrise de son corps et de son esprit. Il en ressort que le clergé condamne davantage les danses populaires que de cour. Dans les écoles de Jésuites notamment, les élèves se produisent lors de ballet, à l’occasion de remises de prix par exemple.
Que se passe-t-il à la Révolution ?
Sur la deuxième moitié du XVIIIe siècle, les bals se poursuivent et l’on danse toujours à la cour. C’est l’idée de représentation qui se perd : on ne danse plus deux par deux devant un public comme on le faisait auparavant. Des danses plus sociales, où l’on entre davantage en contact avec le partenaire en se tenant les mains par exemples, se développent : ce sont les contredanses.
On peut penser qu’à la Révolution, il y ait une rupture dans la danse, mais ce n’est pas le cas, le goût pour celle-ci s’amplifie en descendant dans la rue. Nombre de bals publics voient le jour.
Qui fait vivre la danse baroque aujourd’hui ?
Redécouverte par Francine Lancelot dans les années 1970 et 1980, la danse baroque vit au travers de la compagnie Ris et Danceries qu’elle fonde. Une fédération des professionnels de la danse ancienne unit les acteurs de ces disciplines, promeut ce patrimoine et lui donne une visibilité en Europe. On aime encore danser le baroque aujourd’hui car cela raconte et fait vivre une histoire.
C’est un plaisir différent par rapport au classique car le baroque se pratique avec des mouvements plus resserrés. L’envergure des mouvements est réduite, le saut moins haut et le rythme plus marqué. L’intérêt vient de la dynamique d’attraction/répulsion qui se joue dans la présence incarnée des danseurs, le fait de se tourner le dos et parfois de se donner la main. On s’attire et on s’éloigne pour mieux se rapprocher. Ces danses sont connues grâce aux près des 300 danses de bal et de théâtre recensées par Francine Lancelot dans son catalogue raisonné La Belle Dance. Il arrive encore que l’on entende qu’une danse chorégraphique ait été retrouvée dans tel pays ou telle bibliothèque. Passionnés d’histoire, d’histoire de l’art ou amateurs de danse, nombreux sont ceux à aimer les bals baroques qui peuvent être très festifs. On a d’ailleurs la chance d’avoir des musiques baroques sur lesquelles danser.
On peut penser qu’à la Révolution, il y ait une rupture dans la danse, mais ce n’est pas le cas, le goût pour celle-ci s’amplifie en descendant dans la rue. Nombre de bals publics voient le jour.